lundi, juillet 03, 2006

باكالوريا يصححها البوابون


وزارة التهذيب بين المطرقة والسندان هذه الأيام فهذا هو اليوم الذي يتواصل فيه إضراب الاأساتذة عن تصحيح الباكالوريا الشيئ الذي أدي بالوزارة ان تأجل تصحيح امتحان شهادة الدروس الاعدادية الى يوم الاربعاء بدل من اليوم وفى هذه الظروف الصعبة بدأت الوزراة فى جلب مفتشين و معلمين وحتى متقادين للتصحيح بدلا من المضربين وهكذا فإن مصداقية هذه الوزراة ستتمرغ من جديد فى حضيضها الذي لم تألف العيش بعيدا عنه أبدا وسيصبح الامتحان مهزلة أخري بعد اكتشاف الأساتذة لخطأين الأول فى السؤال الأول بالنسبة لمادة الرياضيات والثاني بالنسبة للفيزياء ولن يبقي للوزير فى هذه الحالى الا الاستقالة أو الانتحار
التعليقات

58 Comments:

Anonymous Anonyme said...

ente lahi edgoulene 3en dhi essoura 3enhe tes7i7 bac , mour ye l7erag ente ekdheydhib

1:00 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:04 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:04 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:05 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:06 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:07 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:07 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:07 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:07 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:08 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:11 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:11 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:11 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière
Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:15 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:15 PM  
Anonymous Anonyme said...

elkej


Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

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4:16 PM  
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Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:16 PM  
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Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:16 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:17 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:17 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:17 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:17 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:17 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:18 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:18 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:18 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:18 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:19 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:19 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:20 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:20 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:20 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:21 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:21 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:21 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:22 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:22 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:22 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:23 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:23 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:23 PM  
Anonymous Anonyme said...

Jean-Yves Camus : C’est une coalition qui apparaît effectivement comme contre nature, ceci étant il faut bien faire attention aux étiquettes collées sur les partis slovaques. Le parti SNS et HZDS de Vladimir Meciar sont bien deux partis nationalistes. Quant au fait de décrire le Smer comme un parti social-démocrate par exemple, pour ma part je ne m’y risquerais pas. C’est un parti populiste, qu’on classe généralement à gauche, mais qui ne correspond pas à un parti social-démocrate tel qu’on l’entend en Occident. De fait, la coalition est dictée par l’arithmétique : c’est clairement Smer qui a gagné les élections législatives, mais il a besoin de forces d’appoint pour constituer un gouvernement de coalition. Il y avait plusieurs combinaisons possibles, celle qui a prévalu est celle-là et ce qu’il importe maintenant de considérer, c’est la répartition des portefeuilles. Dans la mesure où revient au parti de Smer le poste de Premier ministre plus, parmi les dix autres portefeuilles, celui des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et de l’Intérieur je dirais que l’essentiel est acquis pour ce qui est de la compatibilité avec les normes démocratiques. En revanche, le SNS va occuper entre autre l’Education et là, on est dans le même cas de figure qu’en Pologne où Kaczynski a attribué le poste de l’Education à la Ligue des familles polonaises ; et le ministère de la Justice revient, quant à lui, au HZDS, ce qui n’est pas de nature à lever toutes les appréhensions sur la manière dont seront traitées les minorités et les opposants.

RFI : Pouvez-vous nous dresser un « portrait » des deux partis, celui du HZDS, parti nationaliste et celui du SNS, qui représente l’extrême droite xénophobe ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS) de l’ancien Premier ministre Vladimir Meciar a été rejeté par les Occidentaux dans les années 1990 pour ses privatisations opaques et sa gestion autocratique. Vladimir Meciar a gouverné plusieurs fois la Slovaquie et il a réussi à coaliser contre lui la quasi totalité de la classe politique européenne. C’était une sorte de despote nationaliste dont les méthodes utilisées à l’égard tant des minorités ethniques que vis à vis de ses opposants politiques étaient beaucoup plus proches de celles d’un Alexandre Grigorievitch Loukachenko en Biélorussie que celle d’un chef d’Etat ayant l’ambition de faire rentrer son pays dans l’Union européenne. D’ailleurs l’admission de la Slovaquie a été ajournée en raison de la manière dont les minorités étaient traitées et qui ne rentrait pas dans le cadre en cours dans la communauté européenne.

RFI : Et le SNS ?
Jean-Yves Camus : Quant au SNS, c’est un parti qui a été créé en 1871 et qui a, historiquement, porté l’aspiration nationale du peuple slovaque à l’indépendance du temps de l’empire austro-hongrois. Ca veut tout dire : cela signifie qu’il y a un contentieux majeur en terme d’identité ethnique, en terme d’identité nationale, entre les Slovaques appartenant à la nation slovaque et les minorités hongroises, et en même temps la Hongrie voisine en tant qu’Etat. Si on fait une hiérarchie des minorités qui sont aujourd’hui discriminées en Slovaquie, c’est la minorité hongroise et les Roms –ou Tziganes- qui sont très clairement les victimes du plus grand nombre d’agressions racistes et avec un climat de libération de la parole raciste et xénophobe surtout dans les rangs du SNS -mais également chez Meciar. La question de l’antisémitisme est assez secondaire dans cette affaire, non pas qu’il soit inexistant en Slovaquie, mais il est beaucoup plus marginal. Notons aussi que les deux partis, HZDS et SNS, partagent une volonté de réhabiliter l’Etat slovaque, un Etat né en 1938 et allié avec l’Allemagne dès avant la guerre -j’insiste, dès avant la guerre- et qui a été responsable de la déportation de 70 000 de juifs slovaques. Ces juifs avaient été victimes, dès avant la guerre, de lois antisémites édictées par un régime très particulier hyper-nationaliste et dirigé par deux prêtres catholiques.

RFI : Moyennant cette expérience, comment peut-on s’expliquer que le Smer ait choisi leur appui ?

Jean-Yves Camus : L’adhésion de la Slovaquie à l’UE a boosté incontestablement l’économie slovaque, comme en Pologne et comme dans l’ensemble des pays de l’Est qui ont rejoint l’Union. Mais, cette progression a essentiellement profité à une petite élite qui a tiré bénéfice des privatisations, au détriment de l’immense majorité des citoyens qui ont l’impression d’avoir vu leur niveau de vie régresser. Parallèlement la maîtrise par la Slovaquie de son propre destin a tendance à s’effriter. Cette tendance nationaliste n’est pas donc pas due à un retour des vieux démons de l’histoire, c’est une réaction tout a fait compréhensible et pratiquement prévisible en ce sens où l’adhésion du pays dans l’UE s’est faite de manière un peu précipitée et augurait de la manière dont cela se passe aujourd’hui.

RFI : « Le nouveau gouvernement sera pro-européen et il respectera toutes les obligations du Pacte de stabilité et des critères de Maastricht », a assuré Robert Fico. Mais quelle politique peut appliquer ce type de coalition ? Comment la gauche et l’extrême droite vont-elles pouvoir travailler ensemble ?

Jean-Yves Camus : L’idée générale des citoyens slovaques est que ça ne va pas, que la classe politique est corrompue et que l’adhésion à l’Union européenne apporte plus de désagréments que de bénéfices, qu’elle profite essentiellement à une minorité et qu’il faut changer de cap par rapport à la gestion libérale antérieure. Cela constitue l’axe de travail : il faut lutter contre la corruption, envisager des réformes constitutionnelles, mieux contrôler les privatisations et tout ce qui concerne les relations avec l’UE, mais sans en sortir. Ceci étant, comment vont-ils procéder ? Le problème se pose chaque fois qu’il s’agit de formations populistes, le flou est énorme en ce qui concerne la concrétisation et la précision du programme.

RFI : Comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu de réactions plus vives du reste de l’Europe par rapport à cette « coalition rouge brun » en Slovaquie ? Pourquoi l’Europe ne sanctionne-t-elle pas la Slovaquie comme elle a sanctionné l’Autriche, en 2000, lorsque l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec Jörg Haider ?

Jean-Yves Camus : Déjà, remarquons qu’il n’y a pas eu davantage de réactions vis à vis de la Pologne lors de l’arrivée au pouvoir de la coalition des Frères Kaczynski. Or le glissement à droite de la Pologne est, à mon sens, beaucoup plus profond et problématique que celui du glissement de l’opinion slovaque. La Ligue des familles polonaises est beaucoup plus idéologisée que ne l’est le parti national slovaque. La deuxième approche de ce problème des sanctions est de savoir si c’est productif que de sanctionner. Dans le cas de l’Autriche, il s’agissait d’un pays d’Europe occidentale qui était une démocratie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et bien installée dans le consensus démocratique. L’arrivée au pouvoir du FPÖ dans le gouvernement de coalition de Schüssel apparaissait clairement comme un retour sur ces normes démocratiques et dans un contexte très particulier puisqu’il concernait l’Autriche, c’est-à-dire un pays au passé incorporé à l’Allemagne nazie. La configuration était différente. Là je pense que stigmatiser les pays d’Europe de l’Est, qui viennent de rentrer dans l’UE, et stigmatiser les citoyens qui viennent en l’occurrence de se prononcer en disant clairement que les modalités d’adhésion ne leur convenaient pas, serait certainement renforcer encore le sentiment de contestation et donner davantage d’essence au moteur des populistes. Je ne suis pas du tout persuadé que la question des sanctions doive être abordée dans le cas slovaque.

RFI : Deux poids, deux mesures, où est l’Europe dans ce cas ?

Jean-Yves Camus : L’Europe -et pour ma part je vous le dis très franchement, et je ne m’en inquiète pas outre mesure- est dans une situation où se concrétise ce que certains pressentait depuis longtemps : elle n’existe pas ! Il n’y a pas une unité européenne. Il y a des intérêts nationaux. On ne peut pas faire l’Europe contre les peuples. On ne peut pas admettre dans l’Union européenne, comme si cela allait de soi, des pays qui sont dans une situation économique et sociale tout à fait différente de la nôtre en se fondant uniquement sur un certain nombre de grands agrégats économiques comme par exemple le pourcentage des déficits budgétaires. Ce n’est par rapport à ce type de critères qu’on peut définir si un pays est mûr ou non pour rejoindre l’Union.

RFI : Est-ce que cette coalition rouge-brun correspond à une tendance régionale lourde de la présence de l’extrême droite avec laquelle il faille compter, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest ?

Jean-Yves Camus : Non, on ne peut pas vraiment dire ça. Prenons l’exemple de deux pays d’Europe de l’Est qui viennent de rejoindre l’UE, la République tchèque et la Hongrie : l’extrême droite a totalement disparu de leur paysage politique. Il n’y a donc pas une tendance uniforme. Pour ma part je suis beaucoup plus inquiet des élections communales en Belgique, le 8 octobre prochain, que de ce qui vient de se passer en Slovaquie.

En France, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer sur le score que pourra faire le Front national avec Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier recueille davantage d’intentions de votes un an avant le scrutin qu’il n’en recueillait à la veille de la présidentielle de 2002 où il est arrivé au second tour, les sondages montrent une avance colossale du couple Nicolas Sarkozy / Ségolène Royal. On est dans une configuration un peu bizarre où avec 12,5% des intentions de vote à un an des élections, Jean-Marie Le Pen progresse considérablement par rapport à 2002 mais où, en même temps, il n’est pas en position forte car les sondages donnent 30 % à Sarkozy et à Royal. On pourrait alors imaginer en 2007 une configuration assez extraordinaire où, tout en marquant davantage de score au premier tour qu’il ne l’avait fait en 2002, Le Pen ne soit pas cette fois présent au second tour.

Les Pays-Bas comme le Danemark sont, quant à eux, l’exemple de pays où certaines des thèses de l’extrême droite, notamment autour des questions identitaires se sont normalisées sans que l’extrême droite, loin de là, participe au pouvoir. On a vu par exemple que la liste de Pim Fortuyn a connu une fortune très éphémère puisque sitôt son leader disparu, elle a éclaté. Aujourd’hui, au Pays-Bas, les thématiques dures sur l’immigration, la sécurité, la société multiculturelle se débattent à l’intérieur du parti libéral et du parti chrétien démocrate, pas de l’extrême droite. L’extrême droite néerlandaise a toujours été marginale ; le système de proportionnelle intégrale a fait que dans certaines législatures elle avait un député, mais elle a toujours été très marginalisée. Une étude récente vient de montrer que c’est le pays d’Europe de l’Ouest où les militants de l’extrême droite souffrent le plus de l’ostracisme de la société ambiante. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de réelle psychose identitaire, notamment cristallisée autour de la question de l’islam.

RFI : Quelles sont fondamentalement, entre l’Est et l’Ouest, les différences qui caractérisent tous ces partis d’extrême droite ?

Jean-Yves Camus : Ces différences sont liées au contexte historique. Dans un certain nombre de cas, en Pologne comme en Slovaquie, on a des partis qui puisent l’essentiel de leur fond idéologique dans les partis nationalistes d’avant-guerre. On ne peut pas en dire autant des partis en Europe de l’Ouest. La deuxième chose très particulière est celle des minorités et du nationalisme. Après une longue période de satellisation par l’ex-URSS, le sentiment national a ressurgi très fort au moment de l’éclatement du bloc soviétique et il n’est pas vu comme quelque chose de négatif. Cela n’a pas la même connotation émotionnelle et la même charge négative qu’en Europe de l’Ouest. Et puis, en Europe centrale et orientale persistent des contentieux territoriaux et de questions de minorités ethniques qui sont quand même très largement réglés en Europe de l’Ouest. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les étrangers sont perçus comme des prédateurs qui viennent accroître la pauvreté de la masse de la population.

A l’Ouest, il y a deux types de partis d’extrême droite : ceux qui éclosent dans les sociétés où le gâteau de la croissance est petit et où une partie de la population se dit : « comme il est petit, évitons qu’on vienne nous en prendre une part » ; et ceux, comme en Norvège, où sévit un égoïsme de la prospérité. La Suisse fait partie de ce cas de figure qu’on voit bien à l’œuvre autour de l’Union démocratique du centre : « nous sommes un pays riche, prospère, aux institutions stables, n’allons pas faire venir des gens qui vont devenir les parasites de notre système ». Tout intervenant de l’extérieur est perçu comme un prédateur qui vient prélever une partie de la richesse nationale.

RFI : En dépit de toutes leurs différences, les partis d’extrême droite ont un même socle idéologique qui est le populisme et la xénophobie. Faut-il craindre qu’à un moment de l’histoire ils déferlent à l’unisson ?

Jean-Yves Camus : Non, il faut être très clair, il n’y a pas d’internationale de l’extrême droite, et ce pour deux raisons : la première est due au fait que les traditions historiques et idéologiques au sein de cette famille politique sont extrêmement hétérogènes, la seconde -et surtout en Europe centrale et orientale- est qu’il y a trop de contentieux territoriaux et ethniques entre les différents Etats pour qu’ils se mettent autour d’une même table pour signer un quelconque protocole d’accord. C’est d’une certaine manière ce qui nous sauve. Ceci étant, l’entrée par exemple de la Roumanie dans l’Union européenne fera encore une fois entrer au Parlement européen un gros contingent de députés d’extrême droite puisque, actuellement, le parti de la Grande Roumanie est le second parti du pays et c’est, pour le coup, un parti qui compte sur des fondamentaux assez proches de ce qu’était l’extrême droite d’avant-guerre.





par Dominique Raizon

Article publié le 02/07/2006Dernière

4:24 PM  
Anonymous Anonyme said...

mesaage pour x

8:55 PM  
Anonymous Anonyme said...

ente ethrek etbouzy chi madgued

6:25 AM  
Anonymous Anonyme said...

X OULD Y ETHRE MESS EDINE

7:03 AM  
Anonymous Anonyme said...

مانكم واحلين ا فش

أوردها سعد وسعد مشتمل * ماهكذا يا سعد تورد الإبل
هذ ينكال صوع آسواق لا يقدم ولا يؤخر

12:27 PM  

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